La MIVILUDES définit les dérives sectaires comme « la mise en œuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer, de maintenir ou d’exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique ou physique, la privant d’une partie de son libre arbitre, avec des conséquences dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société ».
Le point commun à toutes les dérives sectaires est l’emprise mentale. Toutefois, elle ne saurait
suffire au motif que cette dernière est présente dans d’autres situations comme cela peut être
le cas dans le cadre des violences conjugales. En revanche, pour caractériser une dérive sectaire,
il est indispensable de constater la présence d’autres critères cités ci-dessus. L’appréciation
se fait in concreto. Dans certains cas, un seul de ces autres critères permettra de caractériser la
dérive sectaire.
Ce processus d’aliénation se décline en plusieurs étapes successives exercées sur la victime : la séduction, la déconstruction, la reconstruction et la consolidation.
Séduction
Lors de l’étape de la séduction, une attention particulière est portée à l’individu, tant à ses
aspirations qu’à ses difficultés. Des promesses exceptionnelles et l’appartenance à un groupe
lui sont offertes. Une fois cette étape achevée, l’auteur des faits va alors pouvoir s’atteler à une deuxième étape essentielle à sa domination : la déconstruction de la victime.
Déconstruction
Un processus « initiatique » est alors engagé et un investissement toujours plus important de l’individu est requis par le groupe. Son isolement progressif est mis en place, induit en partie par sa rupture avec ses références antérieures. C’est seulement à cette condition que pourra survenir une troisième phase au cours de laquelle l’individu va véritablement devenir adepte : la reconstruction.
Reconstruction
Une nouvelle éthique est proposée à la victime et son histoire personnelle est réinvestie voire réécrite. Une servitude volontaire se met en place, entraînant une perte progressive d’autonomie sur des choix importants. Enfin, viendront la consolidation et le renforcement.
Consolidation et renforcement
La victime est alors soumise à l’affirmation de vérités absolues soutenues par une rhétorique fallacieuse et empreinte de nombreux sophismes. Le doute et la contre-argumentation sont de moins en moins tolérés et peuvent amener à des sanctions. La vénération d’un individu ou du groupe est développée, entraînant la soumission et la disponibilité sans réserve.
L’emprise
La personne sous emprise aura alors du mal à s’émanciper de sa condition de victime, puisqu’elle n’aura même pas conscience d’avoir fait l’objet d’un tel processus. L’ingéniosité du mis en cause est ainsi de convaincre la victime qu’elle a adhéré seule à ces croyances et à cet état d’emprise. Longtemps, la notion d’emprise mentale a presque exclusivement relevé du registre des psychologues ou des psychiatres spécialisés. Elle ne figure ainsi pas dans le Code pénal.
La loi About-Picard du 12 juin 2001(16) avait pour objectif de « renforcer la prévention et la dépression des mouvements sectaires, portant atteinte aux Droits de l’homme et aux libertés fondamentales ». Elle a ainsi élargi l’arsenal législatif à disposition du magistrat d’une part, pour poursuivre et d’autre part, pour sanctionner une potentielle dérive sectaire en instaurant l’article 223-15-2 du Code pénal qui réprime l’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse. Un tel état peut résulter, conformément au texte de l’infraction, de la minorité de la victime ou de sa particulière vulnérabilité, à raison de l’un des critères prévus par l’article (âge, maladie, infirmité, déficience physique ou psychique, état de grossesse), mais également d’une « sujétion psychologique ou physique ». Si la sujétion physique s’apparente plutôt à une contrainte au sens traditionnel du terme, la notion de sujétion psychologique est, quant à elle, la matérialisation juridique de l’emprise psychologique de la victime. Elle résulte ainsi « de l’exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement » : c’est le piège mis en place par le prédateur pour enferrer sa victime.
Afin de préserver les libertés de conscience et de croyance tout en permettant une caractérisation objective d’un dévoiement de ces libertés lorsque des personnes font l’objet d’une emprise psychologique, une liste de neuf critères a été définie par Philippe-Jean PARQUET, professeur de psychiatrie et d’addictologie (17 – voir ci-dessous). Cette méthode repose sur des éléments tangibles, indépendants de tout jugement de valeur quant à la doctrine impliquée. Ainsi, dans toutes dérives sectaires, se trouve nécessairement l’empreinte de l’emprise mentale. Il s’agit donc de l’élément qui permet d’opérer une distinction claire entre les dérives sectaires et des notions voisines telles que le complotisme, le survivalisme, le séparatisme et la radicalisation. S’il s’avère que les individus sont effectivement sous l’influence de ces doctrines et peuvent croire de façon inconditionnelle à certaines théories, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont pas sous emprise. Influence n’est pas synonyme d’emprise mentale. Ces autres mouvances n’engendrent donc pas une perte du processus décisionnel, de la capacité à juger et du pouvoir d’autocritique.
- Sur cette liste de 9 indicateurs, 5 sont nécessaires pour caractériser l’emprise mentale :
1/ la rupture imposée avec les modalités antérieures des comportements, des conduites, des jugements, des valeurs ;
2/ l’occultation des repères antérieurs et la rupture dans la cohérence de la vie antérieure du sujet ;
3/ l’adhésion et l’allégeance inconditionnelles à une personne, un groupe, une institution ;
4/ la mise à disposition complète, progressive et extensive de la totalité de sa vie à une personne ou une institution ;
5/ la sensibilité accrue dans le temps aux idées, aux concepts et aux prescriptions ;
6/ la dépossession des compétences d’une personne, avec une anesthésie affective et une
altération du jugement ;
7/ l’altération de la liberté de choix ;
8/ l’imperméabilité aux avis, aux attitudes et aux valeurs de l’environnement, avec une impossibilité de se remettre en cause et de promouvoir un changement, voire de croire qu’il soit possible ;
9/ l’induction et la réalisation d’actes gravement préjudiciables à la personne et, dans le cas
particulier qui intéresse la commission d’enquête, à la santé.